[Une heure de lecture #7] En attendant l'égalité...

Depuis que je suis les blogs sociologiques américains, je prend conscience de l'attention particulière portée outre-Atlantique aux inégalités de genre. Beaucoup de post nous proposent de voir tous les petits éléments qui construisent quotidiennement les différences, les hiérarchies et les inégalités entre hommes et femmes. Petite sélection.


Désastreux "disaster movies"

Vous serez sans doute nombreux à aller voir, dans les semaines qui viennent, des films comme 2012 ou The Road, bref des films "de désastre" ou disaster movie comme disait l'autre. Si vous lisez Le Monde, vous savez déjà que les Aztèques n'ont rien à voir avec les délires de Roland Emmerich. Avant d'acheter votre billet, il serait bon de se poser quelques questions, par exemple "Roland Emmerich, c'est pas le gars qui a fait Godzilla ?" ou "quel est le message commun à tous les films de ce genre ?". Pour cela, vous devriez aller lire ce post sur le Global Sociology Blog (ma traduction) :
Mais le problème est le suivant : dans ces films, les hommes commencent par échouer en tant que père, c'est-à-dire, en tant que vrais hommes. La société et ses normes (comme l'égalité théorique avec des femmes qui ont divorcé d'eux ou des enfants adolescents qui ne respectent pas leur autorité) les ont émasculé. Le désastre emporte les fers de la société et la patriarche peut reprendre ses droits. Ce n'est qu'à ce moment là que les hommes peuvent retrouver leur masculinité et leur statut patriarcal en se montrant capable de survivre et de sauver leur famille précisement PARCE QUE la société et ses normes ne les retiennent plus.
Dans ce pseudo "retour à l'état sauvage", seuls les vrais hommes peuvent survivre et, une fois tous les raffinements de la civilisation ont disparu, le "vrai standar" redevient la norme : un père en position d'autorité par apport aux femmes et aux enfants. Quelqu'un qui assure l'autorité, impose le respect et, évidemment, utilise la violence quand c'est nécessaire, c'est-à-dire lorsque sa famille est menacée.

En un mot, une vision à la fois très conservatrice, dans ce qu'elle naturalise la supériorité des hommes et des pères sur l'ensemble de la société, et très libérale, puisqu'elle considère que chaque individu doit s'imposer seul et que les meilleurs survivront.

Être "hot", un acte de libération sexuelle

Sur Sociological Images, on s'interroge sur certaines représentations de la libération de la femme, en rapport avec le débat sur la burqua. Par une espèce de retournement complet, le fait de porter des vêtements sexy devient une marque de libération de la femme, comme l'illustre cette publicité allemande :



La femme met de la lingerie, se regarde dans le miroir, pour finalement se couvrir d'une burqua. Mais elle est toujours "hot" en dessous, ce qui confirme l'idée qu'être "hot" est ce qui rend les femmes heureuses et libérées. L'idée qu'une femme pourrait vouloir se libérer du regard d'un homme (même juste imaginaire" est laissée en suspens. (Ma traduction)

A quand la mosquée playmobil ?

Pour finir, cette magnifique image : alors que les catalogues de jouets se trouvent sans doute déjà dans vos boîtes aux lettres, vous trouverez peut-être des publicités pour l'église Playmobil :



(Source : Idées Enfants)

Il faut bien entendu lire le texte d'accompagnement pour se rendre compte des attentes liées à un tel jouet :
Les petites filles pourront rêver en célébrant le plus beau jour de leur vie !
Magnifique église avec couple de mariés où les cloches sonnent réellement. Musique d'orgue pour célébrer le mariage et bagues pour les petites filles.

Evidemment, le mariage, c'est une affaire de filles. Et en plus, c'est le "plus beau jour de leur vie", parce qu'evidemment, la vie d'une femme ne prend de sens que par rapport à un homme. C'est là le rôle féminin, c'est-à-dire les attentes que l'on a par rapport à un individu identifié comme féminin. En donnant ces jouets aux enfants, on produit des comportements adaptés au rôle que l'on leur prête. Les petits garçons, eux, ne se voient pas offrir des petits couples mariés...

Mais, au delà de ce sexisme sans doute inconscient, au moins de la part d'un certain nombre de parents - car les jouets, surtout pour les plus jeunes, s'adressent plus aux parents qu'aux enfants, cela n'est pas forcément gênant. Après tout, si des parents veulent que leurs enfants soient élevés dans une forme de foi qui considère qu'un mariage doit se faire à l'église, c'est leur droit. Mais pourquoi n'y a-t-il pas la mairie pour les parents qui préfèrent le mariage civil, ou la Mosquée, ou la Synagogue ? On peut douter que ce soit simplement parce que le marché est insuffisant : un marché, cela se construit, et les différents acteurs économiques semblent peu pressés à se développer dans ce centre. Sans doute parce que lancer de tels jouets serait perçus comme "communautariste", tandis que la bonne vieille église n'a, bien sûr, rien de communautariste. Du coup, on pourra relire ce post du Montclair Socioblog (ma traduction) :

Exactement comme "blanc" est la race universelle (aux yeux des Blancs) et "masculin" est le genre universel (aux yeux des hommes), le Christianisme est la religion universelle. Le jouranliste du Times dit que Scalia n'a pas besoin qu'on lui dise que la croix est le symbole du Christianisme. Mais Scalia dit qu'il est "outrageant" de penser que la croix n'honore que les Chrétiens. En d'autres termes, le symbole chrétien est le symbole religieux universel... au moins aux yeux de Scalia.

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Appel pour la généralisation des SES au lycée

L'Association des Professeurs de Sciences Economiques et Sociales (APSES) lance un nouvel appel pour sauver une matière qui reste très menacée par la réforme à venir : comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire bien trop souvent, à l'heure où, plus que jamais, les futurs citoyens ont besoin des outils intellectuels pour comprendre le monde social, on voudrait soit marginaliser cet eneignement, soit le réduire aux "fondamentaux de l'économie", autrement dit le priver des débats et questions problématiques et plus encore de l'apport de la sociologie. Si vous pensez que les sciences sociales ont droit à une place digne de ce nom au lycée, cliquez ici et signez l'appel.


Pour en savoir plus sur les menaces qui pèsent sur les SES, vous pouvez allez lire cet article sur le site de l'Idies :

Actuellement, en classe de seconde, les SES font l’objet d’un enseignement « de détermination » de deux heures et demie par semaine, choisi par 43% des élèves. Dans le projet Chatel, les SES feraient partie des enseignements « d’exploration » à raison d’une heure et demie par semaine (ou trois sur un semestre), à choisir parmi toute une liste, y compris, semble-t-il un enseignement … « d’économie ». Ce projet, s'il devait être mis en oeuvre, aboutirait d’abord à une situation dégradée par rapport à l'existant: moins d'heures avec les élèves (sans parler des dédoublements gérés localement) et avec moins d'élèves. Ne pas offrir à tous les élèves de seconde une approche d’une discipline centrale d’une des séries de l’enseignement général, voilà qui est contradictoire avec l’objectif affiché d’une orientation plus raisonnée des élèves.

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David Douillet est-il Français ?

Illustration étonnamment bien tombée de ce que je racontais il y a quelques jours que cette "affaire Douillet" - qui ne peut que nous faire regretter que l'on ne lise pas ce que disent les hommes politiques avant qu'ils ne soient aux affaires... La juxtaposition de deux citations est à ce titre assez parlante.


La première est évidemment celle, reprise d'abord par le Canard Enchaîné, puis par Le Monde, puis par un peu tout le monde, de notre judoka devenu homme politique mais pas "tapette" :

Pour moi, une femme qui se bat au judo ou dans une autre discipline, ce n'est pas quelque chose de naturel, de valorisant. Pour l'équilibre des enfants, je pense que la femme est mieux au foyer.
C'est la mère qui a dans ses gènes, dans son instinct, cette faculté originelle d'élever des enfants. Si Dieu a donné le don de procréation aux femmes, ce n'est pas par hasard.
De fait, cette femme-là, quand elle a une activité professionnelle externe, pour des raisons de choix ou de nécessité, elle ne peut plus jouer ce rôle d'accompagnement essentiel. (...) Je considère que ce noyau est déstructuré. Les fondements sur lesquels étaient bâtie l'humanité, l'éducation en particulier, sont en partie ébranlés.
On dit que je suis misogyne. Mais tous les hommes le sont. Sauf les tapettes !

La seconde nous vient du communiqué du sémillant Eric Besson appelant à lancer ce grand débat sur l'identité nationale (souligné par moi) :

La question « Pour vous, qu’est ce qu’être Français aujourd’hui ? » devra être posée à chacun. Le débat portera sur la définition de notre Nation, par son histoire, sa culture, sa langue, son patrimoine, son territoire, mais aussi par notre volonté de vivre ensemble, sur la base des principes républicains de liberté, d’égalité, de fraternité, et sur l’opportunité de les compléter par ceux de laïcité, d’égalité homme-femme, ou encore de solidarité nationale.

L'égalité homme-femme est régulièrement rappelée comme étant l'une des valeurs constitutives de la République Française - n'est-ce pas l'un des principaux points d'achoppement quant au port du voile intégral ? -, ce qui ne peut qu'être une bonne chose, et comme un élément central de cette fameuse identité nationale étatiquement définie. Mais va-t-on remettre en cause la nationalité française de David Douillet ? Va-t-on le menacer d'expulsion pour une entorse aussi évidente à ce principe fondamental ? Non, bien sûr. Et c'est normal, puisque la liberté d'expression n'en est pas moins importante en France, y compris quand il s'agit de dire des conn... des bêtises.

Mais les choses seraient bien différentes si ce cher David n'était pas un insider, mais un outsider, s'il était immigré, même avec la nationalité française... ou s'il portait un nom de la mauvaise consonance. Alors, son désir de voir les femmes se cantonner à l'éducation des enfants et au foyer ne serait pas interprété comme une simple position rétrograde, mais comme totalement incompatible avec son intégration dans notre société, comme le signe d'un refus de la République, de ses valeurs et plus généralement de la communauté nationale. Une fois de plus, c'est Howard Becker qui a raison : la déviance n'est pas une qualité d'un acte, mais la conséquence de la réaction des autres, réaction qui dépend des caractéristiques et notamment des "stigmates" des individus dénoncés comme déviants.

Voilà donc l'illustration parfaite du fait que l'identité nationale que l'Etat souhaite définir n'est qu'à vocation externe, ne sera là que pour être opposé aux "menaces" perçues comme telles de l'extérieur. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'identité nationale, simplement que celle-ci n'a pas à être défini une bonne fois pour toute, même par un pseudo "grand débat"...

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Shopping while black

En voyant, cette vidéo sur le Global Sociology Blog, je n'ai pu m'empêcher de penser : qu'est-ce que cela aurait donné si on avait l'expérience en France ?




Sur Sociological Images, qui a, le premier, repris cette vidéo, ce chiffre intéressant et inquiétant : "Ils ont découvert que 80% des clients ne faisaient rien, les personnes de couleurs ayant cependant plus tendance à intervenir que les personnes blanches".

Ce genre de chose fait évidemment penser au cas de de Kitty Genovese, où une jeune femme a été assassiné alors qu'une quarantaine de ses voisins ont entendu ses cris sans réagir. On sait aujourd'hui que l'histoire en elle-même a été largement manipulée, mais l'idée qui en a découlé garde une certaine pertinence : c'est l'effet "témoin" où la responsabilité de chacun se dissout dans le groupe, chacun pensant que c'est à l'autre à agir. Il serait intéressant de voir si les clients réagissent plus facilement lorsqu'ils sont seuls dans le magasin que s'ils sont nombreux. On pourrait aussi y rajouter un raisonnement en terme de seuil, en se demandant si lorsqu'un client réagit, les autres ne le suivent pas d'autant plus facilement.

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Mort de Claude Levi-Strauss

Comme souvent, mon Iphone a sonné pour me signaler que l'application Le Monde avait envoyé une nouvelle de la plus haute importance. A force de subir des choses du genre "L'OM a été battu à domicile" ou "Un gars au nom bizarre remporte une compétition sportive dont tu n'as jamais entendu parler", je n'y prête plus trop attention. Mais cette fois, quand j'ai rallumé le téléphone, j'ai vu qu'il s'était passé quelque chose de vraiment important. Claude Levi-Strauss vient de mourir. Et je regrette de ne pas avoir une option pour mettre ce blog en position "deuil".


Avec lui, c'est l'un des derniers géants des sciences sociales qui disparait, un chercheur qui ne s'est pas contenté de mener des travaux d'une incontestable qualité, mais qui avait aussi développer une oeuvre à proprement parler, avec une vision de ce que sont les sciences sociales, de leur utilité, de leur pratique et de leur sens. Autant choses qui ne sont aujourd'hui traité, le plus souvent, que de façon éparse.

Dans le même temps, je ne peux m'empêcher de penser que désormais, l'Académie française, entre Max Gallo, Jean d'Ormesson et Hélène Carrère d'Encause, c'est vraiment n'importe quoi. Claude Levi-Strauss pouvait prétendre au "génie français" que l'Académie est censé représenter. Inutile de dire qu'avec lui, c'est aussi une grosse partie du prestige de l'institution qui s'en va. Il ne manquerait plus que Jean Sarkozy y soit élu, tiens...

A lire : le dossier que l'excellent magazine Sciences Humaines publie sur son site.
Et une interview reprise sur le Global Sociology Blog.

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Socialisation, Halloween Edition

Traditionnellement, lorsque l'on veut expliquer le concept de socialisation, on mobilise toujours l'exemple des jouets pour enfants : quoi de mieux pour faire comprendre que les rôles féminins et masculins sont des constructions sociales qui sont intégrées par les individus au travers d'activité on ne peut plus anodine ? En puissant dans l'excellent blog Sociological Images, découvert par le Montclair Socioblog, on peut varier un peu : les costumes d'Halloween sont également très révélateurs, et pas seulement de la socialisation genrée.


Commençons quand même par constater combien les inégalités de genre se retrouvent dans les costumes que l'on proposent aux petites filles et aux petits garçons :



(Via Sociological Image, emprunté à Andy Marlette).

Les rôles féminins promus par les costumes d'Halloween, qui apparaissent comme étant donc des choses désirables, des "valeurs" au sens sociologique du terme, tournent essentiellement autour de la sexualisation des petites filles :



("Girls : Mean or Queen", Sociological Images)

Même si elle reste à leur âge, les filles ne sont pas plus gâtés, présentées comme étant des petites "morveuses" seulement préoccupées par leur image ("It's all about me !") :



("Girls : Mean or Queen", Sociological Images)

Mais Halloween, c'est aussi le moment de souligner les barrières de race, de classe et de genre, comme le montre ce costume de "lap-danseuse obèse", bien évidemment noire pour que ce soit plus drôle :



("Halloween Hall of Shame : Fat Lap Dancer Costume", Sociological Images)

Je ne résiste pas au plaisir de vous traduire le commentaire qui accompagne cette magnifique image :

Parce que rien n'est plus drôle qu'une personne, désavantagé par la parfaite combinaison de la race, de la classe et du genre, obligé de faire de la lap dance pour se nourrir. En plus, elle est grosse, hahaha.

Restons dans le domaine du racisme, avec un costume de "Sheik of Persia Arabia". C'est cette fois Racialicious qui commente :

Petite leçon d'histoire : la Perse n'avait pas de Sheiks, mais des Shas. Et la Perse et l'Arabie étaient deux pays différents !
... et bien sûr, il a un couteau ! Tous les hommes du Moyen Orient, sont dangereux, vous ne le saviez pas. Vous pouvez même le voir sur son visage : il est en colère, et il va s'en prendre à quelques infidèles !



("Racist Halloween Costumes", Sociological Images)

Les costumes d'Halloween sont en effet l'idéal, visiblement, pour transmettre quelques bons stéréotypes, avec toute la force de l'évidence. Le commentaire de Sociological Images est assez intéressant à ce propos :

D'après ce que j'ai pu comprendre, les costumes d'Halloween se classent dans trois catégories : effrayant (scary), drôle (funny) ou fantastique (fantastical). C'est pourquoi s'habiller comme une autre "race" ou "culture" pour Halloween est raciste. Un "Mexicain", par exemple, ne devrait pas être présenté comme effrayant, drôle ou fantastique.

Dans la même veine, les Chinois ne sont guère épargnés d'un point de vue capillaire : une moustache suffit en se déguiser en horrible chinois...



("Guest Post : Asian Hair for Halloween", Sociological Images)

Et pour finir, comme rien ne nous sera épargné, Halloween est aussi l'occasion de projeter tout ça sur les animaux. Et même si je confesse n'avoir aucune sympathie pour les serpillières à pattes qui salissent nos belles villes, je dois dire qu'elles ne méritent sans doute pas ça :



("Can We At Least Agree That It’s Racist To Dress Your Dog Up Like a Racial Caricature?", Sociological Images)

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