Le problème dans la cuisine

Une vigilante lectrice m'a fait part de son énervement devant une des nombreuses publicités sexistes qui émaillent notre quotidien. Elle a bien raison : l'objet d'une délit est en effet superbe dans son genre. Surtout qu'il me permet de faire quelques réflexions sur l'évolution des représentations de la femme, et sur la place des hommes.


Voici donc une publicité pour une grande marque de cuisine, accompagnée de son slogan "la recette du bonheur". A chaque fois qu'une slogan aussi manifestement nul est utilisé, un diplômé d'école de commerce gagne sa place au paradis.

Une femme donc bien sûr. Mais attention : pas une femme qui se contente de faire la cuisine. Non bien sûr, nous sommes au XXIème siècle quand même, et il est quand même arrivé aux oreilles de certains publicitaires que les femmes n'avaient plus tellement envie qu'on les cantonne à faire la popote en attendant que le chéri revienne avec son attaché-case à la main. Donc une femme qui visiblement travaille. Surfe sur Internet. Fait la cuisine. Et, quand même, s'occupe du gosse parce qu'il faut pas déconner, faut bien que quelqu'un se le cogne le chiard.

Et cette femme, elle est vachement forte parce que, wahou, elle y arrive. Bon, ok, elle est aidée par la super-cuisine de la mort qui tue qu'à tout les coups, tu y met un poulet vivant dans le four, il en sort un magret de canard au miel pommes salardaises. Mais quand même elle assure.

En sociologie, on parle de "double journée des femmes". Ou comment celles-ci, si elles ont pu conquérir le monde du travail, n'ont vu ces responsabilités ne faire que s'ajouter à ce qu'elles avaient déjà. L'injustice ménagère fait que, revenues à la maison, elles peuvent commencer leur deuxième journée, en plus de celle du travail. On y ajoute aussi généralement la "charge mentale" : même si l'homme participe aux tâches ménagères, il est courant que ce soit à la femme que soit dévolue la responsabilité d'organiser, planifier et contrôler les dites tâches. Et on sait, depuis Jean-Claude Kaufmann, que les hommes, même s'ils sont des gros geeks qui t'installent la dernière version de Linux tout en roxant du noobs sur WOW, sont biens démunis quand il s'agit de s'y retrouver dans les trois programmes de lavage du lave-linge. La "tactique du mauvais élève" qu'on appelle ça : ils voudraient bien, mais ils y arrivent pas, jusqu'au moment où le professeur craque et fait les choses lui-même.

Mais au-delà de cela, on peut aussi voir dans cette publicité une modification de la femme idéale. A l'idéal traditionnel de la féminité se sont ajoutées certaines caractéristiques jadis réservées à la masculinité : l'activité, le travail, l'initiative, l'informatique même ici... Mais il est notable que les incitations s'ajoutent et ne s'annulent pas : loin d'avoir étendu le choix des femmes, cela a surtout contribué à empiler quelques obligations dans une liste déjà longue. Cela provient en grande partie du fait que ce qui est attaché à la masculinité demeure dominant dans nos sociétés et que ce qui est attaché à la féminité est dévalorisé : difficile, dès lors, d'inciter les hommes à se ruer sur des activités que les femmes désirent abandonner. Une fois de plus, le problème qu'il y a derrière tout cela, ce n'est pas seulement la femme, c'est aussi l'homme.

Ah, et pour ceux que ça intéresse, la cuisine, c'est mon domaine. Au quotidien, pas seulement quand il s'agit de se croire dans TopChef.
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5 commentaires:

Cédric a dit…

Juste parce que ça m'écorche les yeux : "En sociologie, on parle de "double journée des femmes". Ou comment celles-ci, s'ils ont pu conquérir le monde du travail,...", et bien moi, j'aurais écrit "si ELLES ont pu conquérir le monde du travail...".

A part ça, très bonne piqûre de rappel ! je suis peu à l'aise en cuisine, par contre je suis le roi du lave-linge ! :)

Cédric a dit…

Ah, et aussi : "A l'idéal traditionnel de la féminité s'est ajoutée certaines caractéristiques...", SE SONT AJOUTEES ;)

Denis Colombi a dit…

Comme quoi, on a jamais fini de lutter contre son habitus...

Nathalie a dit…

Petite anecdote rigolote :
Lors des derniers soldes, mon chéri a écumé les magasins de tissus et moi, ceux de bricolage.
Vous voyez, les lignes bougent, même si c'est à petits pas et au cas par cas ;)

Sébastien_F a dit…

Encore un exemple du degré "zéro" du sexisme : http://fr.pourelles.yahoo.com/mon-c%C3%B4t%C3%A9-femme-c-est-065108356.html

On notera (dans les commentaires) que les lecteurs de "Yahoo! Pour elles" ont été réactifs face à cette accumulation de stéréotypes !
Ya hou !!

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